Mes seins n’ont jamais été une partie de mon corps sur laquelle j’ai complexé, c’est d’ailleurs une partie que j’aimais plutôt bien. Jusqu’à un non-évènement que je vais vous raconter ici, qui est venu chambouler mon amour de moi et engagé un cheminement plus profond depuis lors. Ceci n’engage bien sûr que mon ressenti.
Quelques semaines entre la grève et le confinement, je fais la connaissance virtuelle d’un homme d’une trentaine d’années sur une application. La conversation est intéressante et bienveillante, je partage certains sujets de société qui m’intéressent particulièrement et il abonde dans mon sens. Un jour, nous en venons à parler de nos rencontres respectives. Je le sens hésitant, et lui demande ce qui ne lui a pas plus dans ces précédentes rencontres. Il me dit que pour lui « les seins qui tombent c’est rédhibitoire ». Ma première réaction est de ne pas trop me sentir concernée, je commence donc à répondre d’un ton léger que ça ne doit pas être beaucoup le cas des femmes de 30 ans. Il me dit que c’est déjà arrivé et me confesse que pour le moment ce sont « ses goûts ». Que penser ? Je ne veux même pas faire de supposition sur l’impact de la pornographie qui véhiculent un certain canon de beauté. Je veux bien entendre que nous avons chacun des préférences physiques, des attirances pour certains corps et d’autres non, c’est moi-même mon cas, comme un peu tout le monde. Mais j’ai conscience aussi que ces préférences sont subjectives qu’elles sont le fruit de notre éducation, de nos rencontres passées et de notre place dans la société.
« Rédhibitoire ».J’ai tiqué.
Le caractère périssable de ma potentielle désirabilité m’a claqué au visage. Les effets du temps, le corps qui change, les potentielles grossesses, les accidents de la vie n’étaient pas envisageables dans cette équation pour moi et toutes les autres femmes.
Mes seins étaient potentiellement les protagonistes d’un combat engagé avec la gravité.
Mon corps, nos corps sont soumis à cette impossible immuabilité qui conditionne le désir d’un autre.
Alors, allez vous me dire, ce n’est le reflet que des « préférences » d’une seule personne. Or, quelques jours plus tard un ami me dit que « tant que je n’ai pas les seins qui tombent ça devrait aller » (sous-entendu pour rencontrer quelqu’un), et en racontant cela à une amie elle me dit que c’était déjà arrivé dans son entourage. Cela semble donc la préoccupation d’une part non négligeable d’hommes célibataires et trentenaires.
Malheureusement, cette peur du regard de l’autre m’a atteint plus ce que je ne le pensais. J’ai donc essayé de savoir à quoi ressemblaient justement « des seins qui tombent » , je constate que cela a même un nom « ptose mammaire » et qu’en cherchant sur Google on trouve toute une série d’injonctions à « conserver une belle poitrine » avec différents remèdes, faire du sport pour muscler ses pectoraux (évidemment! ), s’asperger d’eau froide à la fin de la douche pour « raffermir » et j’en passe. Cela me donne la nausée. J’en viens à montrer ma poitrine à ma mère et une de mes meilleures amies pour me rassurer.
J’en parle à 2 ou 3 amies par la suite qui me disent formellement, « euh Marine, les seins qui tombent c’est normal, c’est la gravité ».
Et là je me dis que vraiment tout ceci est ridicule, et qu’il faut que cela cesse, maintenant. Je n’en veux même pas à cet homme, je m’en veux surtout à moi, d’en avoir fait un sujet, aussi. Je m’en veux d’avoir douté, car je ne doutais pas avant, et la seule chose qui compte, au fond et qui comptera toujours est de chérir cette partie de moi, qui me caractérise mais ne me définit pas, que mon choix de faire ou de ne rien faire n’appartient qu’à moi. Désirable ou non, rencontre ou non, je suis parfaitement heureuse seule, advienne donc que pourra !
Les seins ne devraient plus être un sujet.
Se montrer en soutien-gorge n’est plus un sujet pour moi. Ce n’est rien de plus que n’importe quelle autre photographie. Je suis capable de regarder la beauté d’un corps sans le sexualiser, qu’importe mon orientation sexuelle, ou le genre de corps, sans avoir un quelconque jugement. Ce n’est rien de plus qu’un corps, ce n’est rien de plus qu’une poitrine.
Cela je l’ai appris de plusieurs manières. Tout d’abord grâce à mes collègues, qui m’ont tous vu en sous-vêtements, qui me voient matin et soir dans le vestiaire et que je vois donc également. Cela a beaucoup joué sur mon épanouissement physique et de constater que je n’ai plus de pudeur particulière à ce sujet, et que cela fait du bien. Notre confiance mutuelle fait que nous en sommes venus souvent à la fermeture à ne plus prendre la peine de fermer la porte du vestiaire.Au travail, notre corps n’est plus un sujet et s’il l’est ce n’est que dans la bienveillance. Chacun de leurs corps est beau, la poitrine de chacune d’elles est belle, et c’est en partie grâce à elles que je l’ai appris.
Ensuite en regardant des émissions de télé-réalité britanniques, « Naked Attraction »: une sorte d'émission de blind date, où l'on révèle peu à peu des corps entièrement nus et dans toutes leurs diversités, avec une grande bienveillance, ou « Naked Beach » : une expérience vécue par des personnes extrêmement complexées par leur corps et qui vont cohabiter pendant une semaine avec des gens de toutes morphologies et presque nus (bodypaintés), pour leur apprendre à retrouver leur amour de soi. J’ai trouvé ces programmes osés, passionnants, émouvants et libérateurs.
Les seins étaient encore récemment un sujet pour moi, et je m’en suis détachée. Chacune avance dans la vie avec son corps à son rythme et avec bienveillance, mais cela me peine, lorsqu’il est empêchée par le regard de l’autre et non par son désir et sa volonté propre.
J’enrage que cette amie sublime s’empêche de porter les tenues décolletées qu’elle aime tant car son corps est sans cesse sexualisé et que cela la met très mal à l’aise.
J’enrage que cette non moins sublime amie se sente obligée de porter un soutien-gorge par peur de choquer au travail.
Plus j’apprends de leçons de mes amies par leurs choix affirmés - quand il est possible de le faire - plus j’avance et m’épanouie.
Les tétons des hommes me semble-il ont rarement suscité une quelconque émotion. (Bon peut être excepté le troisième téton de Chandler ). Ceux des femmes si, alors qu’ils ont une importance fonctionnelle évidente. Visiblement en plus du combat avec la gravité nous avons le devoir de maîtriser et anticiper la température extérieure de l’air.
Une jeune collègue fraîchement arrivée, me demande si ses tétons se voient beaucoup à travers son t-shirt car elle n’a pas mis de soutien-gorge, ce qui est son habitude hors du magasin; surprise et pas tout à fait à l’aise je lui réponds que ce n’est pas à elle d’être gênée par ça, et qu’elle doit faire ce dont elle a envie. Je me suis alors souvenue que pendant longtemps je n’ai pas eu conscience de la sexualisation des « tétons qui pointent » à travers un vêtement avec ou sans soutien-gorge , jusqu’à ce qu’on conversation me le fasse remarquer. Cet culpabilité n’a jamais été innée et j’allais faire en sorte quelle cesse. D’ailleurs, plusieurs collègues s’y sont essayés depuis et j’ai trouvé ça extrêmement encourageant. Lors des longs mois de grève je me suis mise à binge-watcher cette série si chère à mon coeur, que j’ai redécouvert, la première fois en ayant l’âge des personnages, elle m’a frappé encore une fois par son caractère intemporel. Et devinez quoi, dans un grand nombre d’épisodes Rachel et Monica ont les seins qui pointent sous leurs vêtements, et tout le monde s’en fout ! Quelle bouffée d’air frais !
Cela m’a également aidé lors des mes mois d’anxiété sévère dans le port de sous-vêtement;je n’avais jamais été gênée auparavant, mais l’oppression de mes armatures devenait insupportable. J’ai donc porté de plus en plus de brassières souples et beaucoup moins contraignantes.
Grâce à cette collègue courageuse, aujourd’hui je porte ce que je veux quand je veux et je l’en remercie infiniment; il m’avait fallu une personne plus audacieuse que moi pour ré-aiguiller définitivement l’angle de vue qui m’avait fait défaut et qui pourtant correspondait à mes valeurs profondes.
Enfin et je terminerai par cet aspect fonctionnel essentiel que quelques un(e)s semblent oublier : l’allaitement. Cette leçon je l’ai réapprise grâce à une autre amie, devenue maman depuis quelques années. Je lui ai donc rendu visite quelques fois pour faire la connaissance de son bébé et nous nous sommes aussi rendues en ville pour prendre un goûter ; l’heure avait donc sonné pour ce petit également. Mon amie l’a naturellement nourri au sein dans le café. A la fois surprise puis rassurée, j’étais admirative de la voir mettre en action ses convictions de manière totalement décomplexée.
Récemment j’ai eu une cliente dont je m’occupais et qui avait besoin d’allaiter sa fille. Elle me demanda la permission. Je lui ai présenté la chaise basse en lui disant qu’il n’y avait aucun problème. Deux de mes jeunes collègues sont par la suite venues me glisser qu’elles trouvaient cela « choquant ». Je leur répondis donc que c’était pourtant un acte très naturel mais qu’elles pouvaient tout simplement ne pas regarder.
J’ai dû ainsi faire quelques réajustements dans mon éducation, et il est important pour moi de partager cette bienveillance dans mon entourage, car je suis persuadée que cela participe à une émulation et un bien-être collectif nécessaire.
Menus, charnus, fermes, souples, soumis plus ou moins à la gravité, amincis, rehaussés,augmentés, reconstruits, lisses, textures, ronds, pointus, asymétriques, meurtris, seins désirés ou non, seins en devenir, sein unique, tous nos seins quels qu’ils soient sont beaux - tant que nous apprenons jour après jour - par nos choix et dans la mesure du possible -à les aimer.
Un merci infini à toutes celles qui m’ont appris, et à celles qui m’apprendront encore